Le blog de Grand-Pierre

Je panse donc j’essuie (Devise du palfrenier) Un blog indépendant des réseaux sociaux.

Accueil > Naturalisme > L’Association Francis Hallé pour la forêt primaire

L’Association Francis Hallé pour la forêt primaire

Reconstituer une forêt primaire...

lundi 12 juin 2023, par grand-Pierre

Pour « faire » une forêt primaire, prenez un terrain de peu d’altitude, faîtes en une zone de protection stricte où les activités humaines sont proscrites puis... Laissez mijoter à climat tempéré ou tropical pendant environ mille ans.

Le botaniste Francis Hallé qui n’est plus à présenter s’est intéressé aux arbres et aux forêts, notamment tropicales, de longue date. Le célèbre radeau des cimes lui a donné accès aux canopées tropicales et le film du réalisateur Luc Jacquet tourné en Guyane en 2013, « Il était une forêt », en collaboration avec lui, l’ont fait connaître du grand public.

Ses ouvrages font référence : Aux origines des plantes, Plaidoyer pour l’arbre et bien d’autres encore que je ne saurais tous citer.

Une utopie ou une nécessité ?

Favoriser le retour de la faune et de la flore préexistante à l’arrivée de l’être humain en sanctuarisant un espace libre de toute intervention des siècles durant semble à priori une idée farfelue, surtout si l’on considère que cet espace devrait s’étendre sur une surface minimum de 70 000 hectares ! Avant qu’un ensemble forestier n’atteigne sa véritable maturité avec un équilibre et une richesse biologiques suffisants il peut se passer 700 ans voir plus. En partant du principe que le forestier travaille pour les générations suivantes, il s’agirait là, avec le projet de forêt primaire, d’une quarantaine de générations successives respectant une non-intervention intégrale !

Mais au fait pourquoi Francis Hallé et l’équipe qui porte ce projet sont-ils si attachés à ce concept de forêt primaire ?

Il résume ici pour nous les bénéfices écologiques que la société tirera de la mise en place d’une forêt primaire :

- Maximum de fixation et de stockage du CO2 atmosphérique
- Minimum de pollution
- Maximum de fertilité des sols
- Augmentation de la pluviométrie régionale
- Alimentation des nappes phréatiques en eau pure
- Maximum de biodiversité : plantes, animaux et micro-organismes
- Enfin, maximum de beauté forestière, ce qui est un argument puissant en faveur du tourisme [1]

Il semblerait éminemment difficile de sanctuariser l’ensemble du territoire français sans revenir aux temps anciens où seuls les gardiens de troupeaux, les forestiers et les brigands étaient présents dans les bois. Il est possible par contre de réaliser un tel projet sur un espace suffisamment étendu et mieux protégé stricto sensu qu’un Parc National ou qu’un Parc Naturel Régional et de restaurer de cette façon sur le long terme la diversité biologique qui a été sacrifiée ailleurs.

Vous disiez biodiversité ?

Il y a aujourd’hui seize ans, j’avais publié sur ce blog un article sur la biodiversité !

Ce joli vocable, mis à toutes les sauces, galvaudé souvent par des journalistes non spécialistes, égare plus qu’il ne renseigne. Nous savons que la biodiversité, victime des pollutions majeures, des méthodes d’élevage et des méthodes agricoles intensives, du réchauffement global, de la prédation humaine, des guerres et de l’urbanisation, est gravement menacée. Ceci dans un tempo qui n’est plus celui, très lent des temps géologiques mais au contraire bien trop rapide, à l’échelle seulement de quelques générations humaines. Or la nature, si elle sait s’adapter en permanence par la magie de l’évolution des espèces, a en horreur les évènements brusques qui ne lui laisse pas ce temps d’adaptation indispensable.

On assiste alors à un effondrement en cascade des faunes et des flores, des bactéries et des champignons qui, tous interdépendants sont incapables de surmonter le changement qui leur est imposé si rapidement. La vie terrestre étant une immense chaîne biodiversifiée, ce déséquilibre très inquiétant menace la survie des espèces et son évaluation exacte est délicate. On estime que des espèces que nous ne connaissons pas encore disparaissent. Ces disparitions sont sans retour.

L’humain est partie directe de cette chaîne du vivant et une catastrophe biologique le concerne aussi bien évidemment.

Certains me diront qu’au fil de l’évolution, 99% des espèces ont déjà disparu. Ils ont tout à fait raison mais ces disparitions ont accouché d’espèces nouvelles et adaptées à un environnement en mutation. Les mammifères ne sont pas apparus en un jour ! (Voir un autre article à ce sujet).

La sylvigenèse ou renaissance d’une forêt primaire en Europe de l’Ouest

JPEG - 83.7 ko
Bisons dans la forêt de Bialowieza

S’il existe encore à l’est de l’Europe la forêt primaire de Bialowieza située à cheval sur la Biélorussie et la Pologne, celle-ci est victime d’une déforestation programmée et l’état polonais est ciblé par l’Europe pour son implication dans les contrats d’abattage autorisés. Francis Hallé s’en est inquiété auprès de l’Union Européenne. [2] Signe des temps, un changement de régime peut entraîner de grands dommages environnementaux comme par exemple la libéralisation des coupes de bois en Amazonie sous la présidence de Jair Bolsonaro.

A l’opposé de ces politiques désastreuses, la sanctuarisation d’un territoire suffisamment étendu pour que la faune y retrouve son espace vital et que la forêt y évolue naturellement répond pertinemment à la crise de la biodiversité que nous connaissons en Europe. Tout l’espace européen a été modifié et exploité au cours des siècles et la chaîne de vie que j’évoquais plus haut en a été considérablement endommagée.

Pas un champ, pas une prairie, pas un bois ou une forêt n’a pu subsister dans son facies originel. Ces espaces ont été petit à petit exploités et surexploités depuis l’époque la plus reculée de l’implantation humaine jusqu’à nos jours. Les terres actuelles industrialisées sont quasi mortes biologiquement. L’élevage intensif a considérablement réduit les espèces ou les variétés sélectionnées, ouvrant la porte a des pandémies animales virales. Dans les élevages industriels, seules quatre variétés de pondeuses produisent les œufs que nous consommons. Même chose pour les élevages laitiers. Un véritable tapis rouge déroulé pour accueillir les pathogènes.

Le monde commence seulement à prendre conscience de ce que les biologistes et les écologues savent depuis longtemps : La nature pour fonctionner a besoin de pouvoir utiliser toutes ses ressources et notamment celles de la variété bactérienne, de la variété animale, de la variété floristique et mycologique, toutes choses qui peuvent apporter des réponses lorsque les organismes pathogènes prolifèrent. Les plantes, elles, condamnées à l’immobilité ont développé un arsenal chimique complexe pour se défendre et survivre.

L’espèce humaine, dans une totale inconscience, se démunit de ses protections naturelles en détruisant son environnement et se fragilise d’autant, victime de ce déséquilibre redoutable autant que silencieux. Bien que cela puisse paraître inconcevable à notre vanité de sapiens, elle pourrait parfaitement le payer du prix de sa disparition...

Ordre et beauté, calme et volupté

Comment se représenter une forêt primaire en Europe ? Francis Hallé pourrait certainement nous y faire rêver en décrivant ce noble temple végétal à venir. Pour ma part je ne peux qu’évoquer les propos de l’un de mes amis forestier [3] qui était un chaud partisan de la futaie jardinée. « C’est la seule façon dont il faudrait conduire les plantations à l’avenir. Même si elle est plus complexe à exploiter, elle résiste beaucoup mieux aux ravageurs ainsi qu’au feu. »

Cette futaie n’aurait évidemment rien à voir avec une forêt primitive mais, comparée à une sylviculture de résineux plantés en ligne elle donne une idée de ce que pourrait être une vraie forêt. Les feuillus et les résineux s’y partagent l’espace harmonieusement et occupent des niveaux différents en hauteur. Les individus jeunes se frayant un chemin vers la lumière parmi les spécimens âgés. Il n’est pas rare d’y croiser un chevreuil bondissant tandis que la martre course ses proies favorites sur les branches. J’ai par le passé eu l’occasion de faire visiter les arboretums de l’Aigoual [4] aux estivants et j’ai toujours remarqué qu’en traversant la forêt, les conversations se faisaient moins sonores tandis qu’une sorte d’humilité s’emparait des groupes devant les troncs immenses, vénérables piliers d’une verte cathédrale. [5]

Si vous aimez la nature, foutez-lui la paix ! (François Terrasson) - Un bois de hêtre en mai près du manoir d'Iselingende Peter Christian Skovgaard

Le travail de l’association

Actuellement plus de 4000 adhérent à l’association Francis Hallé pour une forêt primaire. Le secrétaire Eric Fabre coordonne une équipe de bénévoles et quelques salariés ont été recrutés. De nombreuses fondations soutiennent ce projet et de très importants contacts ont été pris avec les ministères, l’Europe et les édiles du Grand Est qui représente actuellement une base de travail sérieuse pour le projet de forêt primaire. Hallé souhaiterait que ce territoire forestier puisse être transfrontalier afin de garantir sa pérennité.

La reconstitution sur le long terme d’une forêt primaire revêt également une grande importance pédagogique en révélant l’importance capitale de la biodiversité sur le temps long. Ce pourrait être le pivot de multiples actions de communication objective auprès d’un public élargi. Il n’y a plus de temps à perdre !

Si vous souhaitiez adhérer à l’association je vous donne ici le lien.


[1Car la zone de stricte protection serait toutefois visitable à pied sur des caillebotis destinés à protéger le système racinaire des arbres.

[2Protestation de Francis Hallé :

Située dans l’Est de la Pologne entre Varsovie et la frontière de Biélorussie, la forêt de Bialowieza est hautement symbolique car elle est la dernière forêt primaire de plaine en Europe ; elle réunit la flore et la faune caractéristiques des forêts qui couvraient le continent européen avant que les êtres humains ne s’y installent. La Pologne ne faisait pas encore partie de l’Europe lorsqu’en 1977 l’UNESCO élève Białowieża au rang de réserve de biosphère, qui était déjà un parc national depuis 1921 et, en 1979, toute la forêt entre au Patrimoine de l’Humanité. En 2004, la Pologne rejoint l’Union Européenne.

Hélas, Bialowieza est actuellement menacée dans son existence même et c’est ce qui justifie ma protestation.

Je regrette de devoir le dire, mais le manque de sensibilité écologique du gouvernement polonais est notoire ; quelques mots d’histoire suffiront à convaincre ceux qui en douteraient.

Depuis 2015, le parti ultraconservateur Droit et Justice (PiS) est au pouvoir en Pologne ; dés 2016, l’Administration Forestière est autorisée à pratiquer des coupes importantes en forêt de Bialowieza, sous prétexte d’une attaque de scolytes de l’épicea ; cette Administration s’oppose dès lors aux scientifiques polonais, à la population locale, à l’UNESCO, à l’UICN et à l’Union Européenne.

En 2017, la cour de Justice de l’Union Européenne parvient à mettre un terme à ces coupes en infligeant au gouvernement polonais une astreinte de 100.000 euros par jour d’exploitation.

Mais Andrzej Duda et son gouvernement ne se laissent nullement convaincre et refusent d’abandonner leurs objectifs d’extrême droite anti-écologie ; une route destinée au passage de lourds engins forestiers est ouverte le long de la forêt de Bialowieza.

Une très mauvaise nouvelle vient de nous parvenir en Europe de l’Ouest : le 9 mars 2021, le Vice-ministre du climat et de l’Environnement autorise l’Administration Forestière à pratiquer de nouvelles coupes. Marque particulièrement ostentatoire de cynisme, l’accord est signé dans les locaux du parc national de Bialowieza.

Il importe de regarder en face, de façon plus générale, le conflit idéologique qui oppose au reste de l’Europe le gouvernement ultra-conservateur polonais : il refuse de conditionner les aides financières au respect de l’état de droit, il refuse l’indépendance de la justice et l’indépendance de la presse, il refuse l’égalité des sexes, le droit à l’avortement et le respect de l’orientation sexuelle. La Pologne actuelle oublie l’idée même de démocratie en ouvrant à l’exploitation sa forêt primaire alors que, selon un sondage Kantar Public pour Greenpeace Poland, 84 % des Polonais demandent l’extension du parc national à toute la surface de la forêt de Bialowieza. Nous devons leur faire savoir que nous sommes de leur côté et que nous ne les abandonnerons pas face à l’adversité.

Pour ma part, je préside une Association de droit français qui s’est donné pour objectif de favoriser la renaissance d’une grande forêt primaire de plaine en Europe de l’Ouest ; avec tous les membres de cette Association, je partage la conviction que la forêt primaire est le meilleur dispositif connu pour combattre à la fois les dérèglements du climat, la paupérisation des sols et l’érosion de la diversité biologique. Quel sens aura le projet que je porte, quel sens auront les plans climat, les plans forêt ou encore le Green New Deal de l’Union Européenne si, laissant se développer l’obscurantisme, nous ne sommes pas capables de protéger la dernière forêt primaire de plaine que porte notre continent ?

Mon attachement ancien et profond aux forêts primaires m’amène à demander à l’Union Européenne qu’elle fasse au gouvernement polonais, après ses mises en demeure du mois de février dernier, une réponse sévère, vigoureuse et rapide, faute de quoi l’Europe n’aura plus que des forêts secondaires, c’est-à-dire des forêts basses, déstructurées et à la biodiversité amoindrie, contrairement à beaucoup d’autres pays de mêmes latitudes comme les USA, le Canada, la Russie, le Chili, l’Australie ou la Nouvelle Zélande. Pourquoi l’Europe n’aurait-elle pas droit à l’optimum biologique et esthétique que représente la forêt primaire ?

Francis Hallé Montpellier, le 25 mars 2021

[3Georges Roux, pour ceux qui le reconnaîtront, garde ONF sur l’Aigoual.

[4Les arboretums datent de l’époque du reboisement, (milieu 19ème) sortes de pépinières/laboratoire servant à déterminer les essences les mieux susceptibles de s’implanter durablement. (Arboretums de l’Hort de Dieu, de la Foux de Puéchagut etc.).

[5L’arboretum de la Foux, entre le causse de Camprieu et le causse Noir, détenait un record européen avec deux spécimens de sapins de Vancouver de plus de soixante mètres, récemment abattus à l’âge de cent dix ans suite à une attaque par les scolytes. Les troncs ont été laissés sur place.