Accueil > Néo-libéralisme > Tunnel Lyon/Turin
Tunnel Lyon/Turin
dimanche 18 juin 2023, par
La France insoumise et les les écologistes, se positionnent contre la poursuite du chantier du tunnel de 57 km destiné à relier Lyon à Turin à grande vitesse et à désengorger par le rail le trafic routier des camions dans les vallées alpines.
Déjà entre la Suisse et l’Italie...
On ne peut nier qu’il existe pour le tunnel Lyon/Turin 2 des similitudes avec le percement du tunnel de base du Saint Gothard (en vallée), long lui aussi de 57 km et qui a, en son temps soulevé bien des polémiques transalpines ! Voir mon reportage.
Les deux sont des ouvrages très complexes et techniques qui impactent dans la durée les territoires, la pollution au CO² et mettent en jeu des sommes astronomiques. Le tunnel du Saint Gothard avait été remis en question à l’origine du projet par les écologistes suisses ainsi que par le ministre des finances de l’époque : trop cher ! (même pour des suisses !).
Si l’on peut critiquer ceux-ci pour leur manque de transparence bancaire ou leurs règlements trop omniprésents, on ne peut pas par contre taxer les suisses de bêtise ou de naïveté... Les voies de communication alpines étant ce qu’elles sont il leur fallait trouver une solution afin que l’Europe ne les ensevelisse pas sous les gaz d’échappement des interminables files de poids lourds transitant chez eux. Une votation donna finalement le feu vert à ce projet à une forte majorité. [1]
Cela leur a couté cher (11 milliards de francs suisses) mais quarante millions de tonnes de fret transitent chaque année par ses tubes [2] et soixante-cinq trains à grande vitesse l’empruntent chaque jour. Le conseiller fédéral Adolf Ogi, partisan obstiné du projet, a même du ferrailler à l’époque avec les ministres des transports européens qui privilégiaient une solution routière.
Le financement est amorti par le coût élevé du passage qui en l’occurrence se justifie. [3]
La mise en exploitation datant seulement de 2016 la charge de trafic ferroviaire monte en puissance. La Transalpine indique le chiffre de 180 trains de fret/jour en 2017 contre 260 en 2021. Chiffres que tend à confirmer la conclusion de l’article des chercheurs de l’Ecole Normale Supérieure de Lyon (2019) accessible au bas de cette page. L’attractivité du réseau fret français est par contre en baisse, faute d’une stratégie efficace.
La problématique du Lyon/Turin 2
Il s’agit d’un projet qui aurait d’ores et déjà du déboucher sur un résultat. (Quinze années de retard selon la cour des comptes européenne et une contestation vieille de trente ans). Les décisions concernant le financement ont fait l’objet de remises en cause depuis 2002 et les travaux n’ont commencé que récemment. Le financement est estimé actuellement et compte tenu de l’inflation à 9,6 Md pour la section du tunnel, ce qui correspond au coût du tunnel de base du Saint Gothard. Pourtant, au vu des chiffres avancés, la France ne s’en sort pas si mal financièrement sur la partie transfrontalière. (Europe 50%, et pour les 50% restant : Italie 58%, France 42%). D’importants travaux d’accès rapide au tunnel avec la création de deux lignes : Lyon/Chambéry et Avressieux/Saint Jean de Maurienne sont estimés à 10 Md d’euros. (Source : France Info). Les élus régionaux demandent au gouvernement d’accélérer les choses et craignent que le projet ne s’enlise faute d’une décision tranchée. On parle d’un report à 2045 ! Voir d’un abandon du projet alors que côté italien les choses avancent : Livraison prévue en 2032.
Les oppositions à ce projet mettent en cause une vision du transport obsolète à notre époque où la décroissance devrait être la règle. Une ligne historique existante (Lyon/Modane) pourrait être mise à niveau nous dit-on mais la comparaison avec le projet actuel exigerait de disposer de plus d’informations sur cette éventualité qui est handicapée par son état et sa situation. (Accès en altitude, volume fret/passager limité, énergie, sécurité absente, temps de transport, coût etc.). La ligne existante emprunte un tunnel de faîte sous le Mont Cenis (même problématique qu’en Suisse avec le tunnel de faîte du Saint Gothard). Un tunnel de base de 57 km, en vallée depuis Saint Jean de Maurienne jusqu’à Suze exonèrerait les convois de l’ascension du Mont Cenis ce qui fait économiser beaucoup de temps et d’énergie. Ses doubles tubes assureraient la sécurité des voyageurs. Au Saint Gothard, les deux tunnels (historique et de base) sont ouverts et complémentaires.
La patronne des députés écologistes, Cyrielle Chatelain, a fustigé « un projet complètement démesuré, en termes de montants financiers et de coût environnemental ». Mathilde Panot, présidente du groupe LFI et Gabriel Amard ont initié une commission populaire d’enquête parlementaire sur la question. [4]
La NUPES rebat les cartes et refait les calculs en se basant sur l’abandon du projet Lyon/Turin 2 en faveur de la réorganisation du report modal sur la ligne historique réaménagée. Le retard pris depuis le départ du projet Lyon/Turin 2 justifierait un tel revirement ce qui réduirait la facture globale que la NUPES estime à 30 Md. Mais ce ne sont que des calculs et il est permis de douter que la ligne historique, même réaménagée, puisse encaisser la montée prévisible du trafic. Pour plus d’information sur la Commission populaire d’enquête parlementaire, suivre le lien.
- Sortie du tunnel historique en direction de Modane
L’impact environnemental du projet Lyon/Turin 2 n’est bien entendu pas à négliger. Zones de dépôts, infrastructures extérieures, pollution au CO², consommation importante d’eau par le chantier, assèchement de certaines sources. Cela explique en partie le ressentiment des écologistes et l’organisation d’une manifestation sur les lieux en juin 2023 par l’association Soulèvement de la terre.
Lutter afin de minimiser les impacts environnementaux d’un tel chantier pour un militant vert et dénoncer les manquements aux règles environnementales [5] est un travail nécessaire et gratifiant pour la cause écologique qu’il défend et de plus : En phase avec la réalité. Vouloir l’interdire, c’est autre chose si l’on souhaite réellement s’attaquer sur le fond au problème de la pollution routière par les poids lourds.
Tentative de bilan rapportée aux aménagements structurels transitionnels en général
Il serait possible d’installer dans ce bilan les aménagements prévus pour le port du Havre afin d’améliorer le transit mer/fluvial pour les grosses unités par une « chatière », sorte de chenal profond protégé par une digue. Les écologistes locaux sont vent debout contre ce projet destructeur de biotopes marins. [6]
Ces trois infrastructures : Gothard de base, Lyon/Turin de base, chatière du Havre, ont un point commun : Ils anticipent des transports en augmentation et un développement économique à venir mais le justifient par une finalité propice à la transition environnementale en mettant les camions sur les trains et le fret maritime sur le fleuve Seine.
Ce sont des projets ou des réalisations chers, polluants, qui vont tous dans le sens d’un objectif de croissance dénoncé par les écologistes.
Par contre, de l’autre main, ces mêmes écologistes dénoncent les transports routiers contribuant activement :
- 1- Au dérèglement climatique par les émissions de CO² et de polluants.
- 2- A la dégradation sans compensation des voiries routières ; ceci avec une exclusivité d’usage soutenue politiquement par de puissants lobbies. [7]
Les écologistes encouragent également le transport fluvial, économique et peu polluant et insuffisamment développé et aménagé, voir carrément abandonné selon les territoires.
Alors, faut-il stopper une machine économique productiviste qui va droit dans le mur même s’il s’agit de ferroutage dans un tunnel ou d’un automoteur de 4400 tonnes navigant sur la Seine ?
- A- Faut-il gérer écologiquement l’avenir des transports malgré que par ailleurs on le remette en question en combattant le consumérisme outrancier ?
- B- Ou bien refuser tout compromis en sacrifiant à l’orthodoxie écologique ?
- Le projet ferroviaire binational comptera 270 km de rails, dont 57,5 km pour un double tunnel entre Suze (Italie) et Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie). (Sergi/Fotogramma/Ropi-REA)
Vous aurez compris que le bilan est fort difficile à établir et qu’il nous faudrait un commissaire aux comptes d’origine normande pour le valider. Non au tunnel ! P’tête bin qu’oui, mais p’tête bin qu’non...
Mais ces luttes organisées par Soulèvement de la terre sont-elles vraiment l’expression d’une radicalité justifiée ? Ou bien plutôt une manière radicale de se faire entendre à propos de problèmes environnementaux ?
Au niveau politique, il est compliqué pour LFI et les Verts de tenir une telle position critique sur le mode du grand écart entre leur paradigme assumé de la décroissance et les solutions programmées sur le temps long (un tunnel est appelé à fonctionner plusieurs siècles) sans que les alternatives qu’ils proposent fassent consensus. [8] Quel est le message qui sera finalement retenu par leurs sympathisants ? Il est permis de s’interroger.
Pollution au quotidien
L’action politique nécessaire à la progression d’une cause, si pertinente soit-elle se retrouve confrontée, avec ces mégaprojets, a une contradiction majeure. En voici un (mauvais) exemple : On peut être contre les « passeurs », voir carrément contre l’immigration mais lorsqu’un bateau coule, l’opération de sauvetage prime sur le reste. Personne ne le contestera. Un micro trottoir dans la vallée de la Maurienne ou celle de Chamonix nous en dirait plus qu’un long discours !
Les élus locaux, toutes étiquettes confondues, désespèrent de voir un jour les camions qui les asphyxient monter sur un train. Ces quinze années perdues sont autant de morts prématurées dues à la pollution des vallées alpines. L’action politique dans ces territoires passe d’abord par la prise en compte des réalités environnementales et du problème des nuisances dues aux poids lourds. La question non encore résolue à ma connaissance serait plutôt, une fois le tunnel Lyon/Turin ouvert à la circulation, de le rendre attractif ainsi que ses accès pour les camions en transit avec des reports modaux performants et fluides.
- Une ligne politique difficilement identifiable !
Les savants calculs des opposants sur le gain en empreinte carbone qui serait reporté aux calendes au vu des délais importants de réalisation du tunnel Lyon/Turin ainsi que l’improbable utilisation de la ligne historique ne font pas débat car il est une évidence : Quoi que l’on fasse le trafic augmentera si l’on veut transporter les camions et le fret en ferroutage (et développer le transport fluvial), ceci même si cela doit poser quelques problèmes. Une priorité écologique sur le long terme qui devrait interroger les Verts et LFI, à moins que ceux-ci n’aient pris un train de retard.
Il faut conclure
La contestation du projet Lyon/Turin 2 et les prises de décision reportées depuis trop longtemps pourraient inciter le gouvernement à abandonner ce projet. Peut-être d’ailleurs ne demande-t-il pas mieux ! Ce pourrait être une bonne excuse offerte par l’opposition de renvoyer le financement à plus tard tout en donnant par la même occasion un signal favorable aux lobbies du transport routier. Est-ce cela que souhaitent la NUPES et les Verts ? [9]
La solution alternative ne pourra convaincre que... Les convaincus. Posons la question de savoir pourquoi l’Europe financerait un projet si couteux si une alternative dix fois moins onéreuse et répondant réellement aux besoins à venir existait ? Pourquoi construire une tour Eiffel si une structure métallique de moindre importance, moins haute et moins coûteuse aurait pu aussi bien faire l’affaire ?
Pourquoi le tunnel de base du Saint Gothard, dont l’investissement se récupère sur les péages, a-t-il résolu de graves problèmes de pollution dans les Alpes suisses ? (Et qu’il monte en tonnage transporté en binôme avec le tunnel de faîte ?).
Cette affaire met en opposition l’idéologie et la réelle politique. Nous sommes d’accord avec l’engagement idéologique de LFI et des Verts sur les grandes questions environnementales, dont fait partie intégrante d’ailleurs la pollution par les poids lourds, mais nos députés, fussent ils d’opposition, sont avant tout des élus nationaux qui devraient élargir leur horizon immédiat et proposer des solutions nationales écologiques concernant les modes de transport, en évitant de tendre la perche aux lobbies routiers et aux pétroliers. Les voir à l’offensive sur le ferroutage plutôt que de proposer des solutions minimalistes et joindre leur voix aux râleurs systématiques aurait eu un autre impact sur le public et certainement mieux correspondu aux attentes réelles de leurs électeurs. [10]
En étudiant les questions de financement de ce projet Lyon/Turin 2 dans un but louable d’objectivité, je me suis vite rendu compte qu’il était très difficile de s’y retrouver, chacun, selon sa position vis à vis du projet, convertissait les chiffres à sa propre sauce ! Et comme le trajet définitif n’est même pas encore déterminé... Il y a de la marge !
[1] Savez-vous quel est le plus grand entrepôt de marchandises au monde ? Réponse : Les autoroutes et les porte-conteneurs dans une économie organisée « à flux tendu » où les entreprises ne stockent que le minimum.
En France le fret ferroviaire est mis à mal comme sur la ligne Perpignan/Rungis que les clients refusent d’utiliser car les frigos ne sont plus aux normes. 25 000 camions par an pourraient ainsi prendre le relais du train pour alimenter Rungis en productions espagnoles ! La solution serait d’une part de rénover le ferroutage en France en le rendant également souple et efficace et de surtaxer les poids lourds qui choisissent l’autoroute sur des sillons équipés pour le ferroutage...
[2] Soit un million cinq-cent-mille poids lourds.
[3] La traversée de la Suisse en ferroutage coûte 600 euros à un poids lourd contre 300 par l’autoroute. Mais cela permet aux chauffeurs d’effectuer leur pause obligatoire en couchette. Le temps de déchargement dure 40 minutes et le système est rodé. 70% des poids lourds choisissent d’emprunter les tunnels ferroviaires.
[4] Une commission parlementaire, même rebaptisée populaire, vise généralement à éclairer le débat sur une question ou une loi importante. Que penser d’une commission mise en place après seulement que LFI et les Verts aient pris position contre le projet de tunnel ? Et constituée exclusivement d’opposants irréductibles à ce projet ? Je ne vois là aucune volonté de débattre.
[5] Définition du militant : Individu intimement persuadé de détenir la vérité. Bon, je blague...
[6] Evoquons également le canal Seine/Nord tout juste commencé après la pause provoquée par Edouard Philippe, maire du Havre et également sujet à des réserves de la part des écologistes et de LFI alors qu’il doit éviter à un million de camion/an de prendre la route lorsqu’il sera terminé en 2030.
[7] Souvenons nous de la tentative avortée de Ségolène Royal et de ses portiques autoroutiers pour taxer les poids lourds, abandonnés ensuite devant la vindicte des « bonnets rouges ».
[8] J’allais écrire : « ...tiennent la route... » plutôt que « ...fassent consensus... » mais j’ai réalisé que cela ne fonctionnait pas dans ce contexte ferroviaire. Un consensus semble très problématique concernant la rénovation de la ligne historique du mont Cenis et son utilisation pour un ferroutage intensif si celui-ci devait se développer. Si j’insiste sur ce point c’est qu’il me semble incontournable.
Sa capacité en fret serait huit fois inférieure à celle du tunnel de base. Il s’agit d’un ouvrage ancien à un seul tube n’assurant pas la sécurité et dont personne n’imagine qu’on veuille en percer un deuxième. D’autre part il se situe à 1300 m d’altitude et cela oblige les trains à grimper depuis la vallée en recourant à deux machines sur un parcours en lacets. Le ferroutage y est peu attractif et peu développé. Cette soi-disant alternative est donc incohérente avec l’usage qui prétend en être fait.
Dans le midi, à l’écart de l’exaltation parisienne on en dirait, assis devant un pastis bien frais : Cette histoire de voie historique, c’est un pet de lapin sur une mandoline !
[9] Actuellement le ministre des transport et Laurent Wauquiez, président de Rhône-Alpes se renvoient la balle pour financer une tranche de 6 Md faute de quoi l’Europe pourrait annuler sa part du financement (3 Md) et le prochain train de subventions de Bruxelles en 2028 reporterait la fin des travaux à 2040... (Source Canard enchaîné - 21/06/23).
[10] Un sondage Ifop, à la demande de La Transalpine (lobbie du tunnel) donne les écolos et les insoumis en Rhône-Alpes largement favorables au projet de tunnel ! Ceci malgré l’opposition des maires de Lyon et de Grenoble au projet. A quand une commission populaire régionale en Rhône-Alpes sur ce sujet ?