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Vive la guerre !

Dessins de Robert Fuzier - 1932 - Ainsi qu’en fin d’article le compte-rendu d’interview du général Desportes sur la situation en Europe et en Ukraine

lundi 24 avril 2023, par grand-Pierre

Déjà presque cent ans que cet ouvrage est sorti de presse...
Et rien n’a changé mis à part la puissance des armes.
Le business des marchands de canons se porte au mieux. Vive la guerre !

Nationalisme et capitalisme

 [1]

Nationalisme et capitalisme ne sont pas les mamelles de la France mais plutôt celles de la guerre à travers les siècles. N’oublions pas de citer ici ceux qui la mettent en œuvre, les professionnels de la guerre, ces officiers supérieurs qui vivent des conflits engagés ou à venir et dont certaines citations émaillent cet article. J’ai ajouté en bas de cet article un résumé des arguments développés par le général Desportes [2] à propos de la guerre en Ukraine qui m’ont paru des plus sensés et contrastent avec le ton de mon article.

Sera cité aussi un aumonier de division allemand qui manie aussi bien le sabre que le goupillon.

Les sacrifiés et les profiteurs n’ont guère changé depuis que ces dessins ont été réalisés. On prend les même et on recommence.

« Mon enfant vous allez être un grand roi ; ne m’imitez pas dans les goûts que j’ai eu pour les bâtiments ni pour celui que j’ai eu pour la guerre. Tâchez de soulager vos peuples, ce que je suis assez malheureux pour n’avoir pu faire. » (Paroles de Louis XIV à la veille de sa mort à celui qui allait être son successeur, le futur Louis XV).

« Ce n’est pas notre faute si dans les œuvres de sang de la guerre, nous devons accomplir celle de bourreau. On donne au soldat le fer froid, il doit s’en servir sans timidité ; il doit l’enfoncer dans les côtes de l’ennemi ; il doit briser son arme sur leur crâne, tel est son devoir sacré, son service divin. Dieu a permis cette épreuve pour l’humanité. Vous n’avez aucune responsabilité. »
(Schetter, aumonier de division dans l’armée allemande, dans un ouvrage intitulé : « Au nom de Dieu, jusqu’au bout »).

Le réarmement mondial

Les contrats d’armement pleuvent sur le monde comme l’inonde la misère qui sévit jusqu’en Europe. Pour l’intérêt de quelques uns, toujours les mêmes, l’argent de la peur est jeté à pleines poignées par les fenêtres alors que l’humanité a tellement besoin d’aide. [3]

Le génie humain est mis à contribution pour faire la guerre, pour équiper la guerre, pour penser la guerre, pour raconter la guerre tandis que les corps s’entassent dans les fosses communes et que les soldats, sur le théâtre des opérations, donnent leur macabre représentation. [4]

Il y a toujours quelque part un chef, ou des grand-chefs, plus ou moins fanatisés pour dominer par la peur, pour appeler au sentiment national, pour exacerber les tensions entre les peuples ou entre les races et en engendrer lorsque celles-ci n’existent pas. C’est franchement désolant.

Ceux-ci maîtrisent les leviers du populisme le plus grossier pour mettre la conscience du peuple au service de leurs objectifs et empêchent les voix discordantes de se faire entendre par la contrainte. Ils se repaissent de puissance et d’orgueil et méprisent l’existence même de leurs victimes. Sa majesté la mort leur est redevable des millions de croix impeccablement alignées au long des soi-disant « champs d’honneur ».

Mais au fait, ces puissances qui se disputent le monde, ça ne vous rappelle rien ? Moi si.

« Ce qui rend la situation actuelle si difficile, c’est que trop d’intérêts travaillent contre la paix. Ceux-là sont contre nous qui croient que la suppression de la guerre les lèserait dans leurs intérêts matériels. Les fabricants de munitions, les constructeurs d’armements travaillent contre la Société des Nations, contre le Pacte de Paris, et ils payent des campagnes de presse qui, à chaque instant, entravent nos efforts. Les articles contre la paix sont écrits avec une plume taillée dans le même acier que les canons et les obus... »
Paroles prononcées à Genève par monsieur Aristide Briand, lors de la réception d’une délégation de ligues de femmes pacifistes. [5]

Voilà malheureusement un article qui ne m’aura pas demandé beaucoup d’effort ! Il n’y a qu’à faire un copier/coller du passé guerrier.

Dessins extraits de l’album : Vive la guerre ! de Robert Fuzier - Editions Pythagore - 1932 [6]

« Il était temps que vint la guerre pour ressusciter en France le sens de l’idéal et du divin. »
(Général Rebillot - Libre parole, 13 décembre 1914). La guerre éclata le 28 juillet de la même année.

Merci mon général pour vos paroles divines mais je crois bien que nous allons nous en tenir là pour cette fois...

En complément de cet article, voici ci-dessous décrit l’argumentaire et les grandes lignes de l’interview donné par le général Desportes sur la chaîne Elucid (YouTube).

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Le général Vincent Desportes

Une Europe responsable de la situation actuelle

Le général dénonce la mollesse de la réaction européenne lors de l’invasion de la Crimée et du Dombas par les russes. D’après lui, cela a conforté Poutine dans sa volonté de retrouver les frontières soviétiques d’avant 1991. Les rapports de force priment, d’après lui, dans notre monde sur toute autre considération.

D’autre part il pense qu’il existe une rationalité inhérente à chaque stratégie et que l’on doit tenter d’analyser justement celle des russes plutôt que de croire que leur président est devenu incontrôlable. Des signes évidents auraient du alerter l’occident depuis les guerres de Tchétchénie, de Géorgie et de Syrie sur l’orientation de la stratégie russe.

L’Europe pensait avoir éliminé la guerre, en fait il n’en est rien. Le credo selon lequel les nations occidentales pourraient exporter leur système démocratique en même temps que leur système économique est d’après lui une grave erreur car de nombreux états autoritaires ne possèdent pas cette culture et la rejette (comme d’ailleurs Poutine et ses militaires mais c’est également valable pour l’Irak, l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, la Syrie etc.). D’après le général Desportes, l’Union européenne a complètement raté la gestion de l’après guerre froide avec la Fédération de Russie et se retrouve aujourd’hui face à un grave conflit contrôlé de loin par les USA et l’OTAN.

L’erreur du Kremlin pour sa part consiste à ne pas avoir compris que l’Ukraine avait changé, politiquement, militairement et cru que l’Occident décadent (Vision apocalyptique de la débâcle américaine à Kaboul devant l’avance des talibans) et préoccupé seulement de ses affaires financières ne réagirait pas, comme pour l’invasion de la Crimée. Or le lien transatlantique n’était pas si distendu qu’il l’escomptait. Finalement les russes avec leur opération spéciale auraient ainsi révélé la nation ukrainienne à elle-même et atteint tout le contraire de leurs objectifs par rapport à l’OTAN.

L’OTAN, solution ou problème ?

Reprochant à l’Europe son incapacité à se protéger elle-même et sa vassalisation par rapport aux Etats-Unis il met en lumière la stratégie américaine de multiplication des adhésions à l’OTAN (31 actuellement) qui leur permettrait de contrôler les européens beaucoup mieux qu’avec les seuls douze adhérents de l’après guerre, les petites nation se rangeant sous la bannière du puissant oncle Tom face au danger. L’OTAN compte tenu de la rivalité Chine/USA tend à s’exporter vers l’Asie ou du moins le projette.

Cette guerre par Ukraine interposé conforte donc la position américaine puisque de nouvelles candidatures sont annoncées depuis l’invasion russe pour entrer dans l’OTAN. Est-ce pour autant la garantie de la paix en Europe ?

Comme le dit le dicton : « Il n’y a que dans le piège à rat que le fromage est gratuit ». Autrement dit, les intérêts américains justifient la protection de l’Europe et cette protection n’est donc pas totalement « gratuite ».

Quand aux marchands de pétrole de schiste, de gaz liquéfié et d’armement, ils ne se plaindront pas de la situation si l’on s’en réfère aux dessins de Fuzier, car ils ont du mal à honorer les commandes trop nombreuses.

La guerre est également une occasion incontournable, voir indispensable pour les fournisseurs de tester les matériels comme par exemple les drones militaires...

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Canon français Caesar

La rancœur des russes

Si la diplomatie russe était encore bienveillante à l’égard des pays occidentaux sous le régime de Boris Eltsine, son successeur Vladimir Poutine pour qui le pire des événements avait été la chute de l’Union Soviétique, se sentit, au fil des ans, méprisé et mis en danger, peut être avec quelque peu de paranoïa de sa part. (Discours de Barak Obama qualifiant la Russie de puissance provinciale - Ignorance des demandes russes en matière de sécurité). Ces raisons auxquelles s’ajouta l’ingérence stratégique de l’OTAN à ses frontières le confirmèrent dans sa volonté de passer à l’action. [7]

La Russie n’est pas une nation mais une fédération qui ne peut exister qu’avec l’émergence d’un pouvoir fort. Or ce pouvoir pour se maintenir requiert une situation de crise ou de guerre. (Au cours de leur histoire les russes n’ont rien connu d’autre, mis à part la très brève période du début de la Fédération de Russie, que des régimes autoritaires à répétition : Ceux des Tsars, des bolchéviks, de Staline, du PCURSS et pour finir de Poutine). Ils sont sensibles au matraquage nationaliste officiel et au rejet des valeurs européennes stigmatisées par le pouvoir comme étant décadentes car ils n’ont jamais connu un régime qui soit véritablement libéral.

N’oublions pas que l’Union Soviétique a été agressée par le troisième Reich et compta vingt-six millions de morts au cours de sa lutte libératoire (France > cinq-cents mille morts soit cinquante fois moins) et que les russes ont gardé ce traumatisme de l’invasion en mémoire (la victoire finale a d’ailleurs été largement instrumentalisée de manière à passer sous silence les crimes staliniens) comme les allemands ont gardé celle de la catastrophique inflation faisant suite à la grande dépression de 1929.

Ces arguments énoncés par le général Desportes amènent à réfléchir sur les véritables raisons de cette guerre en Ukraine, la crainte de l’agression extérieure en faisant vraisemblablement partie et, sans aucunement justifier l’agression russe vivement dénoncée par le général, il est possible du moins d’en analyser les causes autrement qu’avec le discours dominant actuel. [8]

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Commémoration des 70 ans de la victoire de l’armée rouge sur le nazisme

Le général indique que ses prises de positions lui ont valu d’être placé sous surveillance par l’Elysée. (Ce qui est un comble pour l’ancien directeur de l’Ecole de guerre !).

La paix pour quand ?

Lorsque des négociations de paix seront mises en place (dans X années ?) et surtout sans intégrer l’Ukraine dans l’OTAN, [9] ce que les russes n’accepteront jamais, il serait malgré tout possible d’après lui d’offrir plus de garanties aux russes comme aux ukrainiens concernant leur sécurité et leur intégralité territoriale pour parvenir à un accord et une paix durable.

Une analyse que je partage

J’avoue que je n’ai rien relevé dans les propos de ce général avec quoi je serais véritablement en désaccord. (Du moins sur les sujets évoqués). Sa vision des stratégies, européenne (celle-ci brillant par son absence), russe et américaine est pertinente et je pense qu’il serait grand temps de construire une véritable Europe échappant à la politique des blocs et achevant sa maturation par son autonomie vis à vis de ceux-ci. Unique façon de défendre nos valeurs démocratiques dans un monde où règne la diplomatie des seuls rapports de force ; valeurs qui divergent également avec celles qui sont soumises aux seuls intérêts américains.

Concluons maintenant ce compte-rendu d’interview par une saillie de cet ineffable Raffarin : « La route est droite mais la pente est forte » !


[1La Conférence pour la réduction et la limitation des armements de 1932-1934 (parfois Conférence mondiale du désarmement de Genève ou Conférence sur le désarmement) fut une conférence diplomatique organisée par la Société des Nations.

Les négociations furent interrompues lorsque le chancelier allemand, Adolf Hitler, retira son pays de la table de la conférence et de la Société des Nations en octobre 1933. L’Allemagne se lança alors dans une politique de réarmement intensive. Les années 1930 virent le retour des intérêts nationaux, et la période des accords multilatéraux internationaux en faveur du pacifisme n’était plus de mise. (Source Wikipédia)

[2Vincent Desportes - Diplômé par l’Ecole Nationale de Guerre - Doctorant en histoire - Attaché d’ambassade aux Etats-Unis - Conseiller défense nationale - Professeur d’université /Science Po / HEC

[3Le dix-sept janvier 1961, le président sortant, le républicain Dwight Eisenhower, prononce un dernier discours à la nation américaine avant l’assermentation de son successeur, le démocrate John F. Kennedy (On y retrouve clairement, et étonnamment de la part d’un président Républicain, le même type de mise en garde que celle, citée plus loin, d’Aristide Briand autrefois). Extrait :

« ...Dans les assemblées du gouvernement, nous devons donc nous garder de toute influence injustifiée, qu’elle ait ou non été sollicitée, exercée par le complexe militaro-industriel. Le risque potentiel d’une désastreuse ascension d’un pouvoir illégitime existe et persistera. Nous ne devons jamais laisser le poids de cette combinaison mettre en danger nos libertés et nos processus démocratiques. Nous ne devrions jamais rien prendre pour argent comptant. Seule une communauté de citoyens prompts à la réaction et bien informés pourra imposer un véritable entrelacement de l’énorme machinerie industrielle et militaire de la défense avec nos méthodes et nos buts pacifiques, de telle sorte que sécurité et liberté puissent prospérer ensemble... »

[4Opérations spéciales, cela va de soi !

[5Aristide Briand - 1862/1932 -Avocat et homme politique français
Rapporteur de la loi de séparation de l’église et de l’état (1905) codifiant la laïcité - Défenseur de l’union de l’Europe et de la paix (SDN) entre les deux guerres.
Onze fois président du conseil
Prix Nobel de la paix.

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[6Robert Fuzier, 1898/1982 - Ancien combattant et gazé lors de la première guerre mondiale, admirateur de Blum, est arrêté comme résistant en 1943. Libéré en mai 1944 il poursuit une carrière de dessinateur (Le Soir - Canard enchaîné - Le Populaire - Libération etc.) et passe politiquement du PSU au PS après le congrès d’Epinay. Source Wikipédia.

[7La fondation pour la recherche stratégique estime à 140 le nombre d’armes nucléaires déployées par l’OTAN en Europe. Des radars anti-missile ont été installés en Pologne et en Roumanie. On peut s’interroger sur la réaction américaine si de telles armes étaient déployées à Cuba !

[8Je précise que les arguments du général Desportes n’enlèvent rien au fait que Vladimir Poutine ait institué une dictature en Russie, détourné des sommes colossales à son unique profit, assassiné ses opposants, y compris à l’étranger, emprisonné les journalistes et soit à l’origine des attentats qui lui ont permis de déclencher la guerre de Tchétchénie. Son « opération spéciale » en Ukraine a déjà coûté la vie de 200 000 soldats russes et ukrainiens.

[9L’OTAN est un club d’après le général et aucune règle ne l’oblige à accepter une candidature nouvelle