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La source d’Isis
Cette source millénaire qui alimente le Vigan (Gard)
dimanche 4 janvier 2015, par
Revenons un peu en arrière à la lecture d’un projet municipal datant du
... 8 février 1861 !
Ce projet, mentionné dans un mémoire de la bibliothèque impériale intitulé "Projet de prise et d’élévation de la source d’Isis" - "Distribution intérieure de ses eaux dans la ville du Vigan" et établi par le nommé Lioure, fait état dans ses préliminaires de l’impossibilité absolue de jauger le débit d’Isis au vu des innombrables fuites, provenant soit du bassin de récupération de la source, soit du canal situé plus bas dans la vallée.
Les travaux projetés à cette époque sous le règne de Louis Napoléon Bonaparte qui deviendra Napoléon III un an plus tard, visent à rehausser le captage de la source de quelques mètres au niveau de la grotte et à réduire les pertes dues aux fuites et aux captages non autorisés. Il est prévu de dériver vers la ville 50 litres par seconde, estimation qui semble acceptable pour tous.
La partie hydrogéologique de l’étude ne révèle rien qui ne soit bien connu de nos jours. Pour mémoire, les eaux infiltrées du Lingas (qui s’écrivait jadis Lengas) suivent, sous le col du Minier, la faille correspondant à la vallée de Salagosse et le trajet des eaux passe au nord de Bréau, frôle le bassin houiller de Cavaillac pour ressurgir à 1 km du Vigan au niveau de la route impériale n° 99, devenue aujourd’hui la route de Rochebelle. Granites, schistes métamorphiques et calcaires triasiques et jurassiques sont donc parcourus par cette eau d’une grande qualité sur une dizaine de kilomètres à vol d’oiseau depuis le col du Minier, dans le bassin versant du Souls, presque totalement exempt de présence humaine à l’époque.
La légende
Une prêtresse du temple de Diane à NIMES (16 AEC) se nommait, dit-on, ISIS. En venant herboriser en Cévennes, elle découvrit la fontaine près du VIGAN à laquelle elle donna son nom. Le lieu était magnifique, désert et lui plut tellement qu’elle y revint souvent se baigner. Un jour, un beau jeune homme du lieu (un berger disent certains) la rencontra au bain et, bien qu’ayant fait vœu de chasteté, la douceur du cadre aidant, elle se laissa séduire et conçut un fils. Elle put cacher la rencontre et son fruit à tout le monde et revenir souvent voir son enfant et son amant. Puis, pour mieux faciliter ses voyages, elle institua une tradition selon laquelle les filles consacrées au temple devaient une fois l’an, au temps des fruits, venir se purifier à la chère fontaine et collecter les "simples" sur la montagne. [1]
Un réseau à revoir
Beaucoup plus près de nous, à la fin du 17ème siècle, en 1693 pour être précis, le noble sieur Lagarde de la Farelle, propriétaire des terres attenantes, entreprit des fouilles en amont de la prise (dans la caverne) en prétextant qu’il avait découvert là une nouvelle source et déclara se l’approprier ! La ville réagit vivement à cette tentative de captage et l’affaire ne trouva sa conclusion qu’en 1707 après qu’une transaction eu lieu au bénéfice du Vigan.
Il est heureux que cette affaire prit fin de la sorte car, pour ne rien arranger, le canal qui conduisait l’eau en ville était si mal en point et sujet à tant de prélèvements illicites que les viganais manquèrent bien souvent d’eau !
Le dix-huitième siècle commençant n’apporta pas de solution pérenne malgré beaucoup d’argent dépensé en travaux divers. L’année 1719 vit apparaître un règlement de police et un "Département d’eau" qui réglait les droits de fontaine des villageois. Mais l’eau manqua encore cette année là, année où la peste fit son apparition au Vigan !
Au temps de l’eau gratuite
L’administration, découragée, abandonna la gestion d’Isis aux habitants, ceci pendant une cinquantaine d’années et les pertes continuèrent jusqu’en 1780 ou les habitants exigèrent que l’on fasse quelque chose pour améliorer la situation. La ville nomma donc une commission à cet effet. [2] On augmenta le nombre des fontaines jusqu’à dix mais l’eau manquait encore au moins un mois par an.
Malgré ces efforts louables les choses allèrent toujours aussi mal jusqu’en 1862 (date des travaux entamés à la suite du projet d’élévation du captage) et ceci bien que de nombreux aménagements aient couté des sommes considérables. Il manquait également à l’aqueduc de la hauteur, ce qui aurait permis d’alimenter les quartiers hauts par gravité. Leurs habitants devaient s’échiner à charrier des seaux depuis les fontaines du bas de la ville. La population comptait alors 4000 âmes comme aujourd’hui et le Vigan n’avait pas encore de château d’eau.
Les travaux
La grand affaire fut la mise en place d’une vanne-barrage dans la grotte afin "d’y maintenir un niveau suffisant en toute saison" et de pourvoir le régler. Ce barrage avait en plus l’avantage en élevant le niveau du captage d’assécher, du moins en partie, les nombreuses fissures qui alimentaient au-dehors les sources de la vallée. On put désormais également jauger la réserve d’Isis.
Le mémoire indiquait néanmoins la nécessité impérieuse de ne pas impacter la source elle-même par des travaux inadaptés qui auraient pu la modifier. L’exhaussement du niveau pouvait également poser problème au cas ou des fissures internes à la grotte auraient absorbé l’eau les atteignant.
La réparation de l’ancien aqueduc nécessitera, d’après le même mémoire, 675 m² de ciment "de Valmy" pour amener l’eau sans perte à l’origine de la rue des Barris. Un réseau secondaire, alimentant la ville devait fournir en moyenne 1 m3 par jour à chaque habitant. L’abondance enfin !
Un réservoir contenant une réserve de cinq jours d’eau fut prévu au "Mont-d’Aussée" [3] On projeta des cuves pour répartir l’eau entre riverains proches, d’établir des fontaines partout, des bouches pour l’incendie, des canalisations en plomb. Bref, un véritable réseau de distribution au public ainsi qu’aux particuliers.
C’est probablement ce même plomb qui vient d’être retiré pour raisons sanitaires et normatives ; mais qui aura tout de même été à l’initiative du progrès et du confort dont ont pu jouir depuis cette époque reculée les citoyens viganais, nobles descendants de la déesse Isis .
La redevance
Pour revenir à des considérations plus terre à terre, le mémoire précise aussi que la ville obtiendra un rendement de dix pour cent si elle facture l’hectolitre journalier à 36 centimes par an aux particuliers. C’est un tarif dérisoire comparé à ceux pratiqués ailleurs qui ne descendent jamais au-dessous des sept francs. [4]
Décidément, l’eau d’Isis n’aura jamais été très chère, car si elle a légèrement augmenté récemment, elle est toujours bien meilleur marché qu’ailleurs. Ne nous en plaignons pas et remercions nos édiles du XIXème d’avoir réalisé ces grands travaux après, il est vrai, plus d’un siècle et demi de fuites intempestives, de récriminations et de réunions en commission !
[1] On ignore si ces filles consacrées eurent à répondre aux mêmes tentations qu’Isis.
[2] On peut se rendre compte que les choses n’ont pas tellement évolué depuis cette époque !
[3] Comme son nom l’indique
[4] Quarante francs à Paris à la même époque