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Le tunnel ferroviaire le plus long du monde : La traversée du Saint Gothard de la Suisse vers l’Italie

mardi 15 mars 2022, par grand-Pierre

En 2004 j’avais profité de l’occasion offerte par un ami suisse ingénieur civil de visiter le chantier pharaonique "Alp Transit" consistant à doubler l’ancien tunnel d’altitude du Saint Gothard percé en 1882 par un nouvel ouvrage ferroviaire en vallée de 57 km de long complété par un autre tunnel au Tessin (Ceneri) pour desservir l’Italie sur l’axe économique Rotterdam/Gènes.

Plus à l’ouest, le percement antérieur du Lötschberg fluidifie le traffic ferroviaire sur le même axe.

L’objectif des Suisses étant de privilégier le ferroutage afin de désaturer leur réseau routier et de limiter la pollution due aux poids lourds.

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Faido

Le chantier que j’ai pu visiter se situe près de Faido, village du Tessin au sud de la Suisse. Il s’agit non seulement du percement du tunnel mais aussi de la réalisation d’un échangeur et de postes de secours ce qui fait beaucoup de trous à forer ; une sorte d’Emmenthal ferroviaire.

Le Tessin, en Suisse, fleure bon l’Italie et descend assez loin au Sud de l’arc Alpin.

Comme on le voit sur le schema 3D les tubes ferroviaires sont reliés transversalement entre eux à distance fixe ce qui permet en cas de problème sur l’un des tubes de faire passer les voyageurs dans l’autre. De même pour les rames qui peuvent passer par endroit d’un tube à l’autre.

Tous les 325 m une issue de secours est contrôlée par une porte spéciale qui doit résister à une pression de dix tonnes lors du passage des rames à grande vitesse.

Après 17 années de travaux cet ouvrage titanesque met Milan à deux heures quarante de Zurich avec des voies aux standards d’interopérabilité. (vitesse passagers 250 km/h soit 14 mn pour traverser le tunnel principal). Il permet le passage de plus de 65 trains voyageurs/jour et 220 trains rail/route/jour correspondant à 40 millions de tonnes de marchandises/an. Son coût a finalement respecté toutes les estimations soit près de 11 milliards d’euros pour les 57 km.

28 millions de tonnes de déblais ont été extraites par 2400 travailleurs dont neuf d’entre eux ne sont jamais revenus. [1]

Il faut savoir qu’un tunnel franchi des strates géologiques de densité différentes et que les surprises sont régulièrement au rendez-vous.

Les opérations de Faido, compte tenu de la faible densité de la roche, n’auraient pas pu être menées par un tunnelier mais ont du faire appel aux mineurs équipés de leur impressionnant "jumbo".

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Percement aux explosifs et consolidation

En effet, dans une roche trop friable un tunnelier de 20 millions d’euros pourrait rester coincé sous 2450 mètres de montagne et ceci pour l’éternité !

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A bord avec le "pilote" du jumbo ( Crédit photo et photos suivantes : Pierre Muller)

Sur l’image ci-dessus on voit deux des trois bras de la machine. Sur l’un d’eux un homme guidant les forages. Sur l’autre, une perceuse incroyable qui fore un trou de quatre mètres en moins d’une minute pour y installer les ancrages ou (voir plus bas) pratiquer les forages destinés aux explosifs.

Le positionnement des forages est effectuè à l’aide de lasers.

La progression du forage dans ce secteur difficile varie entre 4 et 17 m/jour.

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Le jumbo pratique les perçages destinés aux explosifs.
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Le front de taille.

Depuis le 19ème siècle, les techniques ont considérablement évoluées et la géo-technique sait mettre en place tous les éléments nécessaires à la sécurité : ancrages innombrables enrésinés,

béton projeté, pose de cintres métalliques dans un premier temps pour sécuriser le chantier [2]. Mais le métier de mineur ou de tunnelier, reste celui des surprises et des dangers, lorsque la roche est tendre et que des tensions considérables tendent à déformer la cavité.

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Les cintres métalliques sont posés et boulonnés aux ancrages de 4 m. Un treillis est recouvert par la suite de béton projété.
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Un boitier métallique électrique écrasé par la pression dans une roche friable. (Chantier de Faido)

Cette dernière image met en évidence la dangerosité du métier de mineur tunnellier.

Les travailleurs des tunnels préfèrent de loin avoir à faire à une roche résistante qui garantit leur sécurité.

Mais que faire lorsqu’un trou ne résiste pas à la pression avant sa consolidation définitive ? La seule solution évidemment c’est d’en percer un plus gros ! C’est ce que montre l’image ci-dessous.

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On voit bien ici le précédent percement qui n’a pas résisté à la pression bien que déjà ferraillé et bétonné. Un nouveau percement plus large est nécessaire.

Dans cette ambiance jaunâtre et un peu glauque, on a vraiment l’mpression d’être dans une mine plutôt qu’un tunnel ! Humidité se conjugue avec chaleur (la roche à trois cent mêtres sous terre est à quarante degrés C). On côtoie des petits hommes rouges et de gigantesques monstres au recul sonorisé qui vous incitent à se plaquer à la paroi sans délai.

Malgré une ventilation d’air frais constament active, l’environnement des mineurs est malsain et envahi par les poussières fines. [3] Ajouté à la chaleur et à l’humidité résiduelles ce facteur est nocif pour la santé des personnels. Ils auraient bien besoin de respirer l’air des montagnes qui se trouvent au-dessus de leur tête !

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Il faut savoir se garer rapidement dans le tunnel !

L’ambiance est chaleureuse et les ouvriers Romans répondent à mon salut avec le sourire et quelquefois un mot de français.

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Dur métier et ambiance chaleureuse : C’est la mine !

Pour excaver les matériaux de forage une rampe d’accès routière [4] de trois kilométres est longée par un transporteur à bande. Des pompes remontent les eaux résiduelles en surface sous une pression de trente bars !

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La rampe de 3 km longée par le transporteur à bande qui remonte les matériaux issus du forage.
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Départ du transporteur à bande et pompes.

La pose de voussoirs en béton vient compléter les premières opérations de renforcement. Ceux-ci sont clavés les uns sur les autres et constituent alors un anneau incompressible.

Le béton utilisé provient en grande partie des graviers de forages recyclés et calibrés. (30%).

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Le tunnel terminé et équipé de ses voussoirs et de la voie ferroviaire.

Enfin les tronçons de plusieurs kilomètres se rejoignent avec une erreur de positionnement de quelques centimètres seulement ! (10 cm en moyenne sur chaque tronçon).

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Le jour du raccordement entre les tronçons Nord et Sud. On apperçois la tête du tunnelier qui a travaillé les roches dures.

J’espère que ce modeste reportage réalisé il y a huit ans vous aura intéressé. Les images ont été prises avec un boitier numérique mais malgré ça le grain est assez présent compte tenu de la très faible luminosité ambiante.

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Votre serviteur à la croisée des chemins.

L’ouvrage est ouvert à la circulation ferroviaire depuis décembre 2020. Il permet de faire gagner trois-quart d’heure aux passagers qui traversent le massif du Saint Gothard dans sa totalité. [5]

Pour la sécurité, des installations de contrôle des rames sont intallées avant l’entrée du tunnel. Essieux chauds - incendies - poids trop important - freins grippés - pantographes défectueux - antennes hors gabarit etc. sont automatiquement détectés. Le matériel ferroviaire a également été amélioré.

Une genèse difficile

(Source chaîne télé suisse SRG SSR)

La décision de percer les deux tubes du Gothard et celui du Lötschberg fut prise grâce à l’engagement acharné d’un conseiller fédéral, Adolf Ogi, originaire d’un canton montagnard et qui refusait aux ministres des transports européens la construction d’une autoroute élargie pour les camions sur l’axe économique Rotterdam/Gènes. [6]

L’étroitesse des vallées Suisses, polluées continuellement par les files ininterrompues de poids lourds, justifiaient le choix de tunnels ferroviaires qu’il présenta devant les citoyens hèlvétiques et qui remporta haut la main la votation.

Le ministre des finances à l’époque, Otto Stitch se montra l’adversaire inconditionnel de ce projet dispendieux. Le parti des écologistes s’y opposa également ce qui se conçoit plutôt mal avec le recul.

Une taxation élevée du passage des Alpes par les poids lourds contribua pour partie au financement du projet.

La conclusion s’impose : La Suisse, qui n’est pourtant pas une république soviétique, a su résister aux lobbies routiers européens et préserver ses cantons alpins de la déferlante des poids lourds. Comme le démontre cette saga, cela n’a pas été simple ni facile mais pourrait avantageusement inspirer d’autres pays, dont le nôtre, à faire de même. Voir mon article sur le tunnel Lyon/Turin.

Courte vidéo à voir ici.


[1Très peu d’ouvriers suisses bien entendu mais une dizaine de nationalités différentes ont réalisé les travaux.

[2Mon ami ingénieur m’indiquait à l’époque qu’avec le prix de revient d’une dizaine de mètres d’ancrages, j’aurais pu faire l’acquisition d’un joli pavillon.

[3Le tunnel est réfrigéré par un réseau d’eau fraîche et les gaz et fumées sont évacués par surpression vers le deuxième tube. Sans ces installations les mineurs seraient exposés à un danger d’asphyxie. La moitié de l’énergie consacrée au percement est consommée par ces sytèmes !

[4Sa pente est de 13%

[5Il y a un autre tunnel du Ceneri qui prolonge celui du Gothard vers l’Italie. Le nouveau tunnel de base du Lötschberg (34 km avec un seul tube le deuxième étant en projet n’ayant pas été financé) complètera le dispositif de franchissement des Alpes par le rail. (Voir la carte en tête de l’article).

[6Adolf Ogi fut par deux fois président du conseil fédéral.