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Le faux-procès du loup à Florac

dimanche 13 septembre 2015, par grand-Pierre

Le loup, (Canis lupus), espèce protégée en France, fait à nouveau parler de lui en Cévennes après avoir été totalement éradiqué à la fin du 19ème siècle.
Comme cela se pratiquait autrefois, son procès s’est tenu à Florac dans l’enceinte du vieux tribunal dont il aura été, hélas pour les justiciables, la dernière audience.

"Le rideau sur la scène est tombé..." - Eddy Mitchell

Le retour du grand méchant loup

Le loup, (Canis lupus), espèce protégée en France, fait à nouveau parler de lui en Cévennes après avoir été totalement éradiqué à la fin du 19ème siècle. Les premiers animaux sont signalés en France en 1992 et la région du Mercantour est alors colonisée par des loups italiens.

Les chiffres officiels, bien que sujets à contestation car ils ne s’appuient que sur des études statistiques, indiquent aujourd’hui un total d’animaux installés de 300 têtes dans l’hexagone.

Les loups, c’est un élément connu, se rassemblent en petites meutes de quelques individus issus de la même famille et chassent en groupe, ce qui leur confère une supériorité sur les mâles solitaires. Ceux de ces derniers ayant dû quitter la meute une fois adulte et n’ayant pas pu trouver de compagne pour fonder une famille sont souvent à l’origine de prédations sur les troupeaux où les proies sont plus faciles pour eux à capturer.

Avec le temps et profitant de l’ensauvagement des espaces forestiers et de la déprise agricole dans certains secteurs, les loups sont devenus un problème réel et le nombre des prédations sur les troupeaux a suffisamment augmenté pour que les éleveurs se mobilisent (6000 prédations en 2014 indemnisées par l’état français à hauteur de deux millions six-cent mille euros).

Le loup : Une espèce protégée en France

Espèce redoutée et honnie dans les temps historiques, le loup bénéficie du nouveau paradigme régissant les rapports de l’homme avec la nature.

Nombreuses sont les espèces qui étaient considérées comme « nuisibles » il y a peu et qui sont devenues « protégées » lorsque l’on a enfin compris les interactions essentielles qui agissent au sein des biotopes et l’importance de la prédation pour assurer un équilibre au sein des populations animales. La perte irréparable de la biodiversité qui est en œuvre sur la planète ne vient là que pour confirmer la nécessité d’agir pour tenter de freiner, si c’est encore possible, cette véritable hécatombe.

"La raison du plus fort est toujours la meilleure, nous l’allons démontrer tout à l’heure". Jean de La Fontaine parlait du loup bien sûr mais actuellement, trois-cents loups ne font pas le poids face aux soixante-six millions d’habitants de notre pays ! En conséquence, dormez braves gens, la raison du plus fort n’est certainement pas celle du loup !

Un prédateur mais pas pour l’homme

Animal mythique inscrit depuis la nuit des temps dans nos folklores, avec le petit chaperon rouge, la louve romaine (une brave bête tout de même celle-là) et la bête du Gévaudan jusqu’au grand-méchant loup de Walt Disney, il inspire les fantasmes et déchaîne les sensibilités. Entre la représentation psychique que nous en avons et la réalité naturelle, la différence est grande et l’ignorance règne en maître.

Il faut bien reconnaître que mis à part l’ours (excessivement rare et réintroduit artificiellement), le loup était le grand prédateur par excellence de notre faune ce qui lui vaut cette place de choix dans notre imaginaire collectif. Jusqu’à une époque pas si lointaine d’ailleurs, des procès d’animaux avaient lieu à Tu la trouble ! Répondit cette bête cruelle...l’occasion des dommages causés par ceux-ci. [1] Le loup lui, n’est pourtant pas, à l’instar des fauves africains par exemple, dangereux pour l’homme. Furtif, prudent, extrêmement discret il a tendance à éviter le contact avec son ennemi juré et on ne peut que très difficilement l’apercevoir ce qui rend sa chasse ou son observation difficile.

Gérard Ménatory le savait bien qui depuis 1961 a consacré son temps à "récupérer" des loups de toutes origines dans son Parc aux loups du Gévaudan à Sainte Lucie. Une pédagogie l’animait constamment visant à éradiquer la peur inspirée par ce prédateur et il m’avait fait pénétrer avec lui dans un enclos au milieu de ses bêtes. Nous en étions ressortis vivants !

Consommateurs d’ongulés sauvages

D’après une source bien informée, le loup en Cévennes a souvent été aperçu durant les dernières décennies mais il s’agissait d’animaux de passage, transitant vers les Pyrénées depuis les Alpes. Or actuellement quelques meutes et individus isolés constitueraient le noyau d’une installation pérenne sur le territoire.

Les éleveurs des causses et des Cévennes sont inquiets de cette situation d’autant plus qu’ils connaissent bien d’autres problèmes autrement plus graves (notamment économiques liés à l’élevage de montagne et à la concurrence des viandes importées à bas prix) et que ces dégâts causés par le loup sont pour eux la goutte qui fait déborder le vase. On les comprend fort bien. Le fait est que certains éleveurs sont souvent l’objet de prédations répétées, une meute ayant adopté des habitudes alimentaires ciblées sur leur troupeau. Tandis que d’autres élevages ne sont pas forcément concernés. La solidarité jouant, une large majorité des éleveurs ovins ont naturellement pris position pour l’éradication de cette espèce protégée.

Pourtant la base alimentaire du loup est constituée par les ongulés sauvages et le petit gibier et non par les ovins domestiques. Sans une population importante d’ongulés sauvages il n’y aurait pas de réinstallation de ce prédateur dans nos régions. Les dégâts sur les ovins pouvant être considérés comme étant collatéraux par rapport aux traques ordinaires des meutes. Il ne faut donc pas perdre de vue que les loups sont également des agents régulateurs des espèces sauvages en nombre autant qu’en qualité. En France c’est avec l’ours et le lynx notre super prédateur incontesté de la chaine alimentaire animale.

L’aspect politique

De longue date, le gouvernement a mis sur pied un Plan loup national censé élaborer un espace de concertation entre tous les acteurs concernés mais oh combien difficile à gérer ! Deux conceptions se confrontent dans ces débats agités : Protection de la diversité sauvage et agropastoralisme. Le loup a-t-il encore sa place en France au 21ème siècle ?

Le Parc National des Cévennes a tranché en faveur de l’élevage et son président Jean de Lescure a demandé que son parc soit reconnu comme "zone d’exclusion" pour le loup et même que des tirs de défense soient autorisés dans la zone cœur du parc national.

La récente inscription des "Causses et Cévennes" au patrimoine mondial pour l’agropastoralisme méditerranéen de l’UNESCO n’est certainement pas étrangère à la promptitude de cette décision, plutôt inattendue de la part d’un Parc national. Ce "bien pastoral méditerranéen" inscrit participe de la lisibilité touristique du territoire et le pastoralisme doit être l’objet de toutes les attentions afin de conserver cette inscription qui pourrait éventuellement être retirée par la commission de l’UNESCO en cas de non-respect des clauses ayant décidé de son attribution.

Le (vrai) faux-procès du loup – Tribunal de Florac – 12 septembre 2014

Tribunal de FloracL’association « Les arts au soleil », afin de confronter les points de vue sur ce dossier du loup avec impartialité dans un cadre dédié, encore depuis peu, à rendre la justice, a organisé dans l’enceinte du tribunal de Florac un procès en bonne et due forme avec de véritables magistrats. Le tribunal ayant été rayé de la carte judiciaire récemment, ce sera donc le loup qui aura permis à ces lieux vénérables de vivre leur dernière affaire.

Un public nombreux, réparti entre des salles externes connectées et celle du tribunal [2] pu assister à cette audience d’un genre nouveau mais où fut scrupuleusement respectée l’étiquette judiciaire avec l’audition de témoins représentatifs et d’experts de qualité. L’accusation ainsi que les plaidoiries, donnèrent lieu, entre les traditionnels effets de manches, à une réflexion largement étendue jusque même aux aspects philosophiques, voire affectifs liés à la présence du loup.

Le procureur Coste, dont les interventions brillantes ne manquèrent ni de panache ni d’humour, demanda finalement la réclusion à l’Ile du diable pour le loup [3] et les parties civiles réclamèrent pour ce prédateur le port du bracelet électronique ! Ce débat fût tranché par le président de la cour Marcel Lemonde, qui dans son jugement refusa la condamnation du loup faute de pouvoir la faire appliquer !

Paroles d’experts

Au-delà de cette pièce judiciaire magnifiquement interprétée par des professionnels de talent, il faut retenir quelques informations clés, dans un dossier où les chiffres sont souvent divergents et difficilement vérifiables.

Certes, les loups coûtent cher annuellement à la collectivité. Indemniser est un devoir vis à vis des éleveurs mais là n’est pas la clé du problème. Geneviève Carbone, citée comme experte, nous a confirmé qu’il n’y avait pas de solution viable par l’éradication et qu’il fallait organiser la coexistence entre l’homme et cet animal. La protection des loups n’est pas pour cette scientifique un vain mot et elle a insisté sur la valeur représentée par la diversité des espèces animales. Madame Carbone (Zoologue – ethnologue – anthropologue et éthologue !) a observé les meutes présentes dans les Alpes-Maritimes sur le terrain de jour comme de nuit tout en travaillant aux côtés des éleveurs locaux et fait autorité en la matière.

Véronique Barnier, avocate du loup aux cotés de maître Gérard Christol, ancien bâtonnier, a révélé chiffres à l’appui, que les mesures de protection chez les éleveurs n’était pas suffisantes et ce précisément là où les attaques avaient eu lieu. Or si l’on considère le rapport coût/bénéfice comme on le pratique sur d’autres dossiers, on constate que les sommes investies dans les compensations financières pourraient permettre de rendre les mesures de protection plus opérationnelles si ces sommes étaient différemment réparties.

Bernard Grellier, président du Groupement pastoral Gard/Lozère ; personnage à la forte stature et à la barbe fleurie ; a introduit les débats par un témoignage très convainquant sur les difficultés qu’éprouvent les éleveurs locaux face à ces attaques du loup qui viennent s’ajouter, comme cela a été dit à plusieurs reprises au cours du procès, à leurs nombreux autres problèmes. Certains jettent déjà l’éponge et Bernard agita, face aux juges la possibilité d’une vague de cessations d’activités.

Le gardiennage des troupeaux jour et nuit, ne serait selon lui qu’une utopie en France où les coûts salariaux dépasseraient de loin ceux pratiqués en Italie, où l’emploi de familles Kosovares sans papier pour surveiller les brebis transhumantes serait devenu la règle. Ce qui nous ramène à cette question, reprise d’ailleurs par le défenseur du loup, maître Christol : Sont-ce les contraintes économiques qui doivent déterminer l’avenir des espèces sauvages ? Ou plutôt est-ce le nouveau paradigme que j’évoquais plus haut qui devrait conférer aux humains, conscients d’en être conscient, [4] le devoir de protéger la biodiversité ?

Nous touchons là le fond de cette affaire judiciaire : Là où les brûlis grignotent les territoires des animaux sauvages en Afrique, ceux-ci sont condamnés à régresser. Mais en Europe et en l’occurrence avec le retour du loup la question est de savoir si, après l’avoir chassé, [5] les hommes pourraient accepter de coexister de nouveau avec cet animal ? Et surtout si leur mode de développement économique l’autoriserait ?

Si l’on en croit madame Carbone, il y sera bien obligé car, comme on le constate (par une comparaison risquée, je le reconnais) avec les migrations massives des demandeurs d’asile qui accaparent l’actualité européenne, il ne sera pas possible d’interdire les territoires qui leur sont favorables aux loups, pas plus d’ailleurs que de leur poser un bracelet électronique !

Une rhétorique guerrière qui se marie mal avec l’image que l’on souhaiterait donner de nos régions. Elle est à mon avis contre-productive vis à vis de la perception des visiteurs, certes parfois un tout petit peu angélique, mais finalement déterminante pour une part importante de l’économie de nos territoires.

Des solutions existent (Certes difficiles à mettre en œuvre)

- Pour protéger les troupeaux > surveillance accrue de jour, chiens éduqués, parcage nocturne + efficace

- Pour effaroucher les prédateurs (qu’ils soient loups ou chiens) > Chiens, tirs d’effarouchement, présence humaine

- Pour éloigner ou abattre, mais en dernier recours, certains individus déviants > Pièges, tirs

- Pour investir dans l’accompagnement des éleveurs impactés par la présence du loup > moyens en matériel, suivi scientifique, formation

Nous avons manifesté récemment avec eux pour demander le retrait d’un texte qui aurait exclut les terrains boisés des parcelles enregistrées comme parcours pour les troupeaux, ce qui aurait eu pour effet de rendre insuffisantes les surfaces exigibles pour bénéficier de la PAC. Nous sommes hélas ici bien loin de l’accompagnement précité... C’est plutôt un accompagnement... Vers la sortie. [6]

Les réponses politiques à ce type de problématiques sont souvent sujettes à la critique, étant écartelées entre la volonté de protéger les loups et celle de répondre au souci des éleveurs. Même si des moyens financiers importants sont pourtant mis sur la table. J’ignore quelle est exactement l’implication de la commission européenne dans ce dossier et c’est sans doute José Bové, également témoin à Florac, qui serait le mieux placé, en tant que député européen, pour répondre à propos de cette question migratoire...

Mais les éleveurs ou leurs représentants le disent eux même : L’argent n’est pas tout et les prédations sont très mal vécues par ces ruraux qui sont beaucoup plus proches de leurs animaux que l’on pourrait le croire. De plus, même s’ils sont soutenus, leur avenir est incertain et ils se sentent souvent seuls face à des problèmes qui les dépassent.

Le verdict

Je me prononcerais donc, moi qui ait eu le privilège d’assister au (vrai) faux-procès du loup à Florac, et en accord avec le jugement prononcé, de ne pas essayer d’éradiquer le loup, ce qui n’est pas possible d’après les conclusions du président Marcel Lemonde, mais de prendre toutes les mesures citées plus haut en accompagnant les éleveurs, à la fois en terme de moyens et de formation, pour qu’ils puissent continuer à vivre, ou à survivre, mais ceci, et peut-être à leur corps défendant, en coexistence avec le loup.


[1L’un des magistrats présents à Florac régala le public d’une anecdote : Lors de la révolution française, un perroquet ayant contracté la mauvaise habitude de crier "Vive le Roi" se vit traduit en justice. Il fût condamné à être rééduqué par une brave citoyenne afin qu’il puisse crier "Vive la République". Son maître, lui par contre, fût guillotiné.

[2Télédraille et Radio-bartas ont retransmis les débats et 60 000 internautes ont pu aussi se connecter !

[3L’île ou fût déporté Dreyfus après son retentissant procès - Etait-ce une allusion à l’injustice appliquée aux minorités ?

[4Le seul roseau pensant parmi les espèces animales.

[5Il ne faut pas perdre de vue que si nos ancêtres étaient parvenus à éliminer complètement le loup, c’est qu’ils occupaient à cette époque chaque pouce de terrain ce qui n’est bien sûr plus le cas aujourd’hui.

[6Je crois savoir qu’après de nombreuses interventions et l’engagement des élus locaux, cette mesure aurait finalement été retirée de la transposition française de la directive.