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Marie B. - Une sacrée grand-mère

dimanche 19 avril 2015, par grand-Pierre

Je vous livre ici quelques souvenirs qui remontent du fond des âges, lorsque, parisien à l’époque, j’ai rencontré Marie B.

Au temps passé

...En ce temps là la vie était plus belle et le soleil plus brûlant qu’aujourd’hui..., Prévert et Kosma nous faisaient, en co-écrivant la chanson des Feuilles mortes, le coup du passé que l’on regrette. "Il est toujours joli le temps passé" chantait aussi Brassens en précisant toutefois dans un clin d’œil : Une fois qu’ils ont cassé leur pipe, les morts sont tous de braves types...

En fait, si l’on en croit les experts du GIEC, le soleil sera probablement plus brûlant demain quoi qu’en ai dit les poètes autrefois. Il faut donc rester circonspect à propos des passés que l’on repasse au vernis d’une réalité romancée !

Emploi du temps : Refaire le monde

A cette époque de mon existence parisienne, ni meilleure ni plus catastrophique qu’aujourd’hui, nous étions une bande de révolutionnaires encartés dont le QG se trouvait situé derrière l’hôpital Cochin dans une artère privée, le Square de Port-Royal, qui donnait sur la rue de la Santé. La prison du même nom n’était pas loin et à proximité, les sœurs Augustines disposaient pour leur maison de retraite d’un magnifique jardin privé. Leur jardinier, peu porté sur la question religieuse, était d’un abord agréable et nous étions assez copains.

Lors des élections, nous voyions arriver les sœurs au bureau de vote en rangs d’oignons derrière la supérieure, des procurations douteuses plein les mains.

Le petit bar du coin était tenu par un antillais qui alimentait son estaminet en alcools dont le fisc ignorait probablement l’origine, acheminés au vu et au su de tout le quartier dans le caddie de la supérette locale !

Un avocat malvoyant et spécialisé dans les affaires de divorces en était l’un des principaux clients (avec le jardinier des sœurs) et lorsqu’il avait forcé sur le whisky, en amis charitables, nous le ramenions à nos risques et périls à son troisième étage, là où sa femme nous abreuvait alors de reproches, nous traitant de "sales bolcheviques", nous qui n’étions pour rien dans l’état lamentable où son mari se trouvait. Je crois savoir qu’ils finir par... Divorcer.

L’aventure se trouvant au coin de la rue, c’est à travers les perforations d’une antique vespasienne qu’un camarade caché là, au risque de passer pour un désaxé, guettait patiemment notre décolleur d’affiche officiel, homme redoutable et honni qui s’adonnait à ce sacrilège après chacun de nos passage, alors que la colle était encore fraîche. Un terme fut mis à cette entreprise réactionnaire lorsque la fatalité du destin s’abattit sur le malheureux décolleur, inoffensif promeneur de toutou pour le public mais contre révolutionnaire avéré à nos yeux. Il s’en tira avec un bon coup de pied au cul.

Paris, cher vieux Paris

Prison de la SantéMa 2CV était l’objet de toute l’attention des policiers qui plantonnaient devant la Santé. Plutôt sympas, certains s’amusaient à énumérer la liste étendue des infractions qui auraient été verbalisables pour finalement me laisser partir en invoquant un surcroît de travail difficile à assumer ! Les lieux n’ont pas changé sur cette photo. Les policiers si.

Comme le permis de conduire était requis, même pour ce véhicule qui se nommait gentiment "Ras le bol", j’avais décidé de passer cet examen à mes frais quoique l’armée française m’ait déjà appris à conduire aux siens. Mais comme j’avais abusé de la salle de police, mon colonel me fit la vacherie de ne pas valider mon permis militaire. Je garais donc ma dodoche devant l’auto-école pour chaque rendez-vous, ce qui agaçait le moniteur. Mais, brave homme, il me donna quand même les cinq leçons qui me firent obtenir le sésame. Heureuse époque !

La vie politique mobilisait encore les foules dans ces années soixante-dix, et les préaux d’école que nous organisions étaient pleins à craquer. Les parisiens ne disposaient pas à cette époque de smartphones et autres oreillettes et ils pouvaient encore se parler et dialoguer, ce qui semblerait hors de propos aujourd’hui. (Quitte d’ailleurs à s’écharper copieusement au cours de ces manifestations agitées).

Oui, en ce temps là la vie était quand même plus belle... Paris n’était pas tout à fait vidée de ses classes populaires et une relative mixité perdurait encore. Au quartier latin, les agences immobilières et les marchands de fringues n’avaient pas complètement remplacé les crémiers, les bougnats ou les marchands de couleur.

C’est le temps où Marie B. me fut présentée.

Marie B.

Marie avec la fille d'une amieChez Marie, russe par son père, polonaise par sa mère et à l’accent prononcé, nous entrions dans un univers de poupée (elle était minuscule) où cretonne, dentelles et napperons occupaient tout l’espace. Tout était d’une netteté absolue et Marie elle-même était toujours tirée à quatre épingle en nous servant du thé et des petits gâteaux.

Elle semblait une de ces mamies bienveillante aux beaux cheveux gris et à la jolie vieillesse rassurante ; un peu une grand-mère pour nous les jeunes. Son fils était un directeur du Muséum et avait plaidé (avec succès) auprès de Giscard d’Estaing pour la création des parc nationaux. J’eu le plaisir de le rencontrer à propos d’une affaire privée. Il présidait aussi le WWF.

Catherine, une de nos copines adorait se rendre pour le thé chez Marie et, de là, de fil en aiguille, nous fûmes quelques uns à venir lui faire la bise et écouter ses histoires. Et quelles histoires !

Elle devait avoir entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq ans.

Quel fut son parcours pour en arriver là ? Sûrement pas ordinaire. Cette petite bonne femme recelait un caractère trempé par une existence vécue à une époque pas ordinaire elle non plus. Communiste convaincue, elle était allé en Allemagne, puis en Pologne et enfin en URSS où elle résida avec son fils plus de cinq années. Elle travaillait ainsi que son mari comme journaliste pour l’agence TAAS. Un poste très exposé à ce moment là à Moscou où les purges staliniennes commençaient à sévir.

Les tristement célèbre procès de Moscou (1936/1938) organisés par le pouvoir soviétique et les épurations qui suivirent la mirent elle-même en danger. J’ignore également si son mari en avait été ou non la victime, les propos de Marie sont hélas bien loin dans ma vieille mémoire. Un beau jour, en trente-sept elle décida de rejoindre l’ouest avec sa famille. Ce qu’elle fit dans des conditions très difficiles et au risque de sa vie.

Elle débarqua enfin à Paris, saine et sauve avec son mari et son gamin de dix ans. Elle avait une manière de s’exprimer bien personnelle en roulant les r pour raconter ce passé incroyable devant un plateau de biscuits et une tasse de thé fumante, comme s’il s’agissait de menus problèmes de la vie courante.

Rendue en France elle rejoignit le parti communiste comme son devoir le lui imposait. Cela peut sembler curieux de nos jours mais la trempe des militants de cette époque n’était pas la même. Ils avaient quelque chose en eux d’inoxydable.

Vint la seconde guerre mondiale. Son mari fut fusillé par les allemands. Résistante, elle travailla encore en zone libre pour différentes agences de presse et son fils entra lui au maquis en Ardèche.

A la question que bien évidemment nous lui posâmes : - Marie, qu’as-tu raconté de ton expérience soviétique aux camarades français lorsque tu es revenue de Moscou ?

Elle répondit : - Je ne leur ai rien dit de ce qu’il se passait à Moscou afin de ne pas les décourager car ils avaient foi en l’avenir.

Et elle ? Avait-elle encore la foi dans les matins qui chantent ?

Ça, Marie ne ne nous en a jamais parlé.

Qu’elle repose en paix.

Le quartier Port-Royal