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Monsieur le maire, cet anachronisme...

dimanche 2 février 2014, par grand-Pierre

Sans doute une nouvelle forme d’atteinte à la bio-diversité -
Monsieur le maire deviendra bientôt une espèce en voie de disparition.

L’héritage historique

Calquées après la révolution française sur les communautés ou les paroisses existantes dés le moyen-âge, les communes - et leurs maires - sont très nombreuses en France et on les estime à une quarantaine de mille lors de leur création en 1793.

Aujourd’hui la France est divisée en 36680 communes (dont 129 pour les DOM), à peu près autant que dans les territoires des États-Unis d’Amérique ! [1] Ce chiffre correspond également à presque la moitié des communes européennes (75000 en 2004) dont de nombreux états ont réduit leur nombre par mesure de simplification. [2]

Cinq-cent-mille conseillers municipaux (maires inclus) président donc, dans notre beau pays, à l’élaboration de la politique communale après leur élection au suffrage universel direct. Cette particularité française issue de la révolution et maintenue depuis semble refléter la volonté du peuple puisque les sondages nous indiquent que 70% des français font plus confiance à leurs élus locaux qu’à ceux des échelons supérieurs. [3] D’autres sondages indiquent malgré tout une baisse de confiance avec 57% seulement des sondés confiants envers le maire. [4]

Il serait certainement pertinent de s’interroger sur les raisons de cette désaffection des français vis à vis de leurs édiles qui va croissant plus les représentants élus sont élevés dans la hiérarchie. Si je puis me permettre une hypothèse risquée, ne serait-ce-t-il pas parce qu’ils sont ressentis comme représentants des classes dominantes lorsqu’ils sont plus haut-placés ? Pour référence à ce propos la présence dans les rangs de nos députés d’une seule assistante sociale tandis que 37 avocats et 55 cadres supérieurs du privés voisinent avec 17 chefs d’entreprises industrielles...

L’entre-soi de la petite commune

Une proximité et un suivi des affaires de la commune facilités, pour l’administré, par une échelle réduite, surtout en milieu rural, expliquent en partie ces sondages favorables aux maires.

Il est également un fait reconnu : Une incidence beaucoup plus faible de l’influence des partis politiques dans les listes des conseils communaux. La proximité, surtout dans les plus petites communes, incite à voter pour les personnes que l’on connait plus que pour les partis. Par contre la position sociale, voir la notabilité locale a probablement encore de nos jours son importance.

L’exode rural de la deuxième moitié du siècle dernier a considérablement réduit la démographie de très nombreuses communes et le regroupement des populations au sein des villes a modifié durablement la répartition de la population en France.
En 1971, Raymond Marcellin, alors ministre de l’intérieur, fait voter une loi destinée à regrouper les communes entre elles. Dix-mille communes devaient ainsi se fondre les unes dans les autres mais seulement 10% d’entre elles le firent réellement !

Se regrouper par nécessité

2223 communautés de communes (EPCI) en 2013 [5] correspondent actuellement à la nécessité de mieux coordonner les politiques à l’échelle de territoires élargis par rapport à leurs ancêtres qu’étaient les paroisses et les communautés du moyen-âge. Depuis la révolution de 89, l’automobile et Internet ont quelque peu changé la donne ! Cette mise en commun de compétences a autorisé ces changements tout en conservant l’unité territoriale communale. Cela n’est toutefois pas sans conséquence sur la vie communale et si le glissement du pouvoir vers la communauté de communes est moins brutal qu’avec la fusion, il est quand même une réalité incontestable.

Les regroupements en EPCI ont été récemment institutionnalisés par la réforme des collectivités territoriales et sont désormais une obligation légale. [6] Dans le cas où le regroupement ne se fait pas par accord amiable entre communes, le préfet prend la main et procède au regroupement. Les plus petites communautés de communes sont également invitées à se regrouper pour constituer un seuil démographique suffisant.

Les services mutualisés de l’EPCI, plus compétents bien souvent que les services municipaux, permettent de faire face aux exigences de plus en plus drastiques de la réglementation et de la technicité. L’inflation des normes applicables aux responsabilités incombant aux maires n’étant souvent plus gérables par les petites communes. [7]

Nos pauvres maires

Tracassés par les règlements de toute sorte, sollicités au quotidien mais dépossédés en grande partie de leur pouvoir, les maires des petites communes sont soumis au stress et les "vocations" se font moins nombreuses. 30% des maires sortants et potentiellement rééligibles ne se représentent pas en 2014.

Une autre menace se profile à l’horizon : L’élection à plus ou moins long terme des conseils inter communautaires au suffrage universel direct. Les EPCI devenant au fil des années de véritables centres de décision, la logique républicaine voudrait que les délégués soient effectivement désignés par ce mode de scrutin. Or, lorsque cela se pratiquera, et cela le sera certainement bientôt, le maire et ses conseillers perdront une grande partie de leur légitimité et les élections municipales ne présenteront plus vraiment d’intérêt pour la population de la commune qui se focalisera sur ses représentants au conseil inter communal.

Prendre parti pour ce petit échelon communal, perpétuellement remis en question, parfois même décrié comme un véritable anachronisme au 21ème siècle, peut passer actuellement pour une position archaïque ou rétrograde. Un état d’esprit "moderniste" et bien souvent aussi "libéral" condamne sans appel ces résistances passéistes et certains dénoncent même vertement le fameux "millefeuille" démocratique aux innombrables élus locaux qui plombent l’état et réduisent notre compétitivité. [8] Marylise Lebranchu, notre ministre de la fonction publique, en évoquant les économies à réaliser dans le cadre du Pacte de responsabilité, a utilisé le mode imparfait à propos des communes : "...On avait 36 000 communes, on a maintenant moins de 2 300 établissements intercommunaux… On peut encore avancer, il faut y aller !..." (En parlant des économies à réaliser sur le dos des collectivités). Aurait-elle anticipé le non-recyclage des communes dans son projet ?

D’autres, méprisant les "tous petits élus" qui ne seraient pas à la hauteur des compétences requises par leur fonction, ne voient pas d’un mauvais œil le passage à l’EPCI. N’oublieraient-ils pas ceux-là que la véritable démocratie ne réside pas forcément ni uniquement dans la performance. Aimer son village, c’est un autre métier que de représenter les intérêts de lobbies du CAC 40 au parlement européen...

Une nouvelle histoire

D’ici à quelques décennies on peut s’attendre à la réduction des régions, des départements et donc des préfectures ainsi qu’à une "mort clinique" des communes, les agglomérations et les métropoles ayant digéré les plus importantes tandis que les territoires ruraux seront tous regroupés. Sur injonction du ministère de la culture, un musée des communes françaises sera peut-être édifié au Trocadéro.

Ainsi la république aura reconverti sans état d’âme une petite partie des cinq-cent-mille élus qui faisaient, la plupart bénévolement, le socle de notre démocratie. Les centaines de milliers d’élus-citoyens, laissés pour compte de cette reconversion et définitivement déconnectés de la gestion publique, retourneront alors tranquillement à leurs petites affaires...

Mais rassurons-nous : Les problèmes de proximité ne seront pas négligés pour autant. Les administrés que nous sommes tous seront reconnectés à une boîte vocale inter communale : " Si vous souhaitez faire une déclaration à l’état civil, tapez un... Pour un raccordement au réseau d’eau potable, tapez deux, pour une autre demande et obtenir un contact avec nos hôtesses, veuillez patienter... "

Je plaisante ?


Petite histoire :

Après la grande guerre et la trop célèbre bataille de Verdun, en 1919, sept communes de la Meuse ont été déclarées : Mortes pour la France. Elles étaient habitées avant-guerre par des bûcherons et des paysans.

Elles ont été classées en zone rouge. 26 millions d’obus ont laminé constructions et paysage et elles n’ont plus aucun habitant. Toutefois, elles ont toutes encore un président de la commission municipale disposant des pouvoirs administratifs et de l’écharpe tricolore.


[1353 communes dans le Gard

[2Source : Wikipédia - Commune - En 2012, en France métropolitaine, 31 590 communes ont moins de 2 000 habitants (regroupant 25,2 % de la population totale), 4 087 entre 2 000 et 10 000 habitants (26,5 %), 777 entre 10 000 et 50 000 habitants (25,2 %), 103 entre 50 000 et 200 000 habitants (13,8 %), 11 plus de 200 000 habitants (9,3 %). Par ailleurs, plus de 10 000 communes ont moins de 209 habitants.

[3Sondage CSA/Le Parisien réalisé les 5 et 6 mars 1999 auprès d’un échantillon national représentatif de 1003 personnes âgées de 18 ans et plus. Méthode des quotas.

[5Établissement public de coopération inter communale comprenant par ailleurs : métropoles, communautés urbaines, communautés d’agglomération et syndicats d’agglomération

[6Il ne reste plus en France que 49 communes isolées

[8Certaines alertes sur le Net, émanent probablement d’ailleurs d’officines carrément anti-républicaines d’extrême droite - Il est bon de noter que seuls 10% des élus en France sont indemnisés